Mais quarante ans après, nous nous trouvons étranges,
Epaisis et blanchis, tassés, brinqueballant
Précurseurs véhéments de séniles phalanges
En évoquant Nessus ne fouettons que du vent.
Je voudrais oublier ! Parfois je le rappelle
Aux jeunes d’aujourd’hui qui m’écoutent polis ;
Ils sont indifférents, raillent les kyrielles,
Considérant moqueurs nos tristes éboulis.
Ils me font souvenir de cette vieille écorcé
Qui racontait sa guerre, en pleurant sur des morts,
Laissant à Jouaumont sajeunesse et sa force
De se voir encore là, s’exprimait en remords !
Et quand je l’écoutais, attentif, sarcastique,
Incrédule, mes yeux semblaient ironiser,
Sa voix s’amplifiait, son geste hiérarchique
Semblait voir l’ennemi, le fendre, le viser.
Déporté ! Résistant ! Ami, vieux camarade
Revenu comme moi de ces camps de la mort,
En ayant évité le noeud et la noyade,
Fais taire ta rancoeur, ne clame pas si fort !
Essayons d’oublier notre épreuve lointaine,
Puisque certains ont su combattre en chevalier,
Ensemble allons puiser à l’eau de la fontaine,
La goutte d’amitié qui sait faire oublier.
Serge Léopold Camman, Déporté résistant au camp de Newengamme